
Pourquoi faut-il décloisonner les politiques du handicap ?
Accueil > Actualités > Pourquoi faut-il décloisonner les politiques du handicap ?
Les acteurs du secteur du handicap dénoncent la catégorisation des politiques publiques
Article écrit par Louis de Briant pour Hospimédia, initialement publié le 12/12/2024
Lors d’un colloque organisé par la Fnaafp-CSF, responsables associatifs et anciens élus ont regretté un cloisonnement important des politiques publiques liées au handicap. Pour des raisons historiques, la multiplicité des guichets, des autorités et des prestations obère l’accès aux droits, malgré des avancées récentes.
Confrontée au « millefeuille administratif », une personne en situation de handicap doit être à la fois « avocat, directeur des ressources humaines, législateur », liste Juliette Tabath, vice-présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées. « Ce sont des compétences qu’on ne demande pas aux autres citoyens. » Elle s’est exprimée ce 10 décembre lors d’un colloque organisé par la Fnaafp-CSF ayant pour thème : « Handicap, quels droits, quels accompagnements ? ». Juliette Tabath décrit une vie empêchée par le cloisonnement des compétences sur le handicap. En raison des aides à domicile, « je ne peux pas choisir à quelle heure je me lève, je mange, je vais aux toilettes où je me couche », illustre-t-elle, ce qui impliquerait de revoir aussi bien les recrutements que les formations. En cas de mutation du conjoint, « vous ne pouvez pas déménager si vous avez déjà eu vos aides », ajoute-t-elle. La vie de la personne en situation de handicap n’est pas figée, il faudrait que le droit s’adapte. »
L’incapacité de penser le handicap dans toute sa complexité, et de l’intégrer dans toutes les politiques publiques, mène à de vraies ruptures d’égalité. « Des enfants en situation de handicap disposent d’un aménagement leur permettant de suivre les cours, puis le jour de l’examen tout change, avec l’idée que ce serait un avantage », déplore George Pau-Langevin, adjointe à la défenseure des droits, qui dénonce « des discussions sans fin » avec le rectorat à ce sujet. De même, en classe entière, « on a pensé que tout était réglé grâce aux accompagnants des élèves en situation de handicap, mais il faut aussi que l’enseignant soit en mesure de répondre aux difficultés particulières de l’enfant. » Dissolution oblige, la ministre déléguée aux Personnes handicapées Charlotte Parmentier-Lecocq et celle de la Famille et de la Petite enfance Agnès Canayer ne peuvent venir lui répondre. George Pau-Langevin se réjouit néanmoins du taux de saisine important de la défenseure des droits pour discrimination liée au handicap, qui représente environ 20 % des dossiers. « Sur le handicap, les associations sont dynamiques et les personnes ne veulent rien laisser passer. »
Des politiques historiquement cloisonnées
La multiplication des guichets, des autorités et des prestations en fonction du type de handicap et d’invalidité complique considérablement la lisibilité et l’accès aux droits. « Si une invalidité est liée à un accident du travail, c’est la caisse primaire d’assurance maladie qui évalue la situation, sinon c’est le médecin du travail. Si c’est une inaptitude, c’est du ressort de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Si c’est une allocation personnalisée d’autonomie, cela dépend du conseil départemental », égrène Maryse Badel, professeure à l’université de Bordeaux (Gironde) et responsable du diplôme universitaire expert handicap. « Or la personne peut être à la fois handicapée, inapte, invalide, en incapacité de travailler… »
Un cloisonnement que l’on retrouve dans « toutes nos politiques sociales », assure-t-elle, qui fonctionnent « en catégories, ce qui a entraîné une sédimentation de nos politiques et formé un maquis avec autant de prestations et de régimes juridiques différents ». Dès 1905 et la loi sur « les vieillards, les infirmes et les incurables », le droit à l’assistance sociale est catégorisé. Même la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées de 1975, qui défendait pourtant une politique globale, a mis en place de nouvelles barrières. En affirmant le département comme l’échelon territorial de référence sur les questions sociales, la loi a contribué à la mise en place des commissions départementales d’éducation spécialisée et des commissions techniques de reclassement professionnel, remplacées depuis par les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées au sein des MDPH. « Ce sont deux structures qui annoncent un clivage marquant en matière de politique du handicap entre enfant et adulte, et l’on pourrait même ajouter entre enfant et personne âgée, au moyen de frontières juridiques qui n’ont guère de sens », souligne Maryse Badel.
4 000 professeurs en moins pour l’école inclusive
Invités en ouverture et clôture de la journée, la présidente de la Caisse nationale des allocations familiales Isabelle Sancerni et l’ancien secrétaire d’État à l’enfance et aux familles Adrien Taquet ont tous deux rappelé les avancées, notamment grâce à la loi de 2005. « Une loi cela infuse, ce qui prend du temps, » a pointé Adrien Taquet. « Mais face à l’urgence dans laquelle se trouvent les personnes, c’est assez inaudible. » Isabelle Sancerni a salué « la grande réussite » de la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés ou le « succès » du bonus inclusion handicap, dont ont bénéficié 42 % des crèches. L’ancien secrétaire d’État a cité en exemple le dispositif Handigynéco, le « premier pas » que représente la prestation de compensation du handicap parentalité, ou encore les listes d’experts de troubles du neurodéveloppement mis à disposition des magistrats. « Il n’est pas question de changer le regard, juste d’appliquer le droit, comme d’être parent ou d’avoir une vie sexuelle », a-t-il expliqué.
Adrien Taquet craint en particulier une nouvelle fronde des personnels de l’Éducation nationale contre l’école inclusive, sur le modèle du « livre noir » du handicap présenté par la branche parisienne du Syndicat national unifié des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles de l’enseignement public-FO en octobre 2017. Ce dernier dénonçait un manque de formation des personnels au handicap, « une situation ingérable » et des situations de violences après la scolarisation d’élèves en situation de handicap. « On est en train de revenir à ce qu’on disait il y a sept ans. Il faut qu’on soit méfiants là-dessus ou on va reculer, » estime-t-il, tout en reconnaissant la « solitude » des enseignants, « à qui on demande de résoudre tous les problèmes. » Face à cette situation, la baisse attendue du nombre d’élèves d’ici 2030 serait « une occasion formidable » pour réduire les effectifs en classe et mieux accueillir les enfants en situation de handicap. « Ce n’est pas la voie que l’on prend, » admet-il.